Voulons-nous suivre le Christ ?
Voulons-nous l'imiter ?
Sommes-nous capables de refuser le monde ?
Sommes-nous capables de refuser l'orgueil ?
Sommes-nous capables de nous convertir ?
Avons-nous conscience de ce que le Christ a fait pour nous ?
Véronique J.
(ci-dessous, un extrait de La Montée du Carmel, de Saint Jean de la Croix)
Si l'homme, en effet, se détermine à prendre ce joug et à porter cette Croix, s'il se décide résolument à
vouloir trouver et supporter par amour pour Dieu toutes sortes de travaux, il trouvera en tous une facilité et une suavité merveilleuse pour suivre ce chemin, dès lors qu'il est dénué de tout et ne
désire rien. Mais s'il prétend avoir la moindre propriété dans une chose qui ait rapport à Dieu ou à la créature, il n'est pas dans le dénûment et le renoncement absolu; dès lors il ne peut entrer
dans le sentier étroit ni le gravir. Voilà pourquoi je voudrai convaincre les personnes adonnées à la spiritualité que ce chemin qui mène à Dieu ne consiste pas dans la multiplicité des
considérations, ni dans les méthodes, les exercices ou les goûts, bien que cela soit, d'une certaine manière, nécessaire aux commençants; mais dans une seule chose indispensable, celle de savoir se
renoncer véritablement à l'intérieur et à l'extérieur, et de se dévouer à la souffrance par amour pour le Christ et à la mort complète de soi-même. En étant fidèle à cet exercice, on acquiert tous
les autres biens. Si on le néglige, quand il est le fondement et la racine des vertus, et si l'on prend d'autres moyens, on ne s'attache qu'à ce qui est accessoire et l'on n'avance pas, alors même
que l'on serait favorisé des plus hautes lumières et que l'on serait en communication avec les anges. On ne réalise de progrès qu'en imitant le Christ; il est la voie, la vérité, la vie; personne
ne va au Père si ce n'est par lui, comme il le proclame lui-même. Il dit aussi ailleurs: « Je suis la porte; si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé (Jean XIV, 6; X, 9) ». Voilà pourquoi
je ne regarde pas comme bon l'esprit qui veut marcher par la voix douce et facile ou refuse d'imiter le Christ.
J'ai dit que le Christ est la voie et que cette voie est la mort à notre nature tant spirituelle que sensible. Je veux l'expliquer maintenant à l'exemple du Christ, qui est notre
modèle et notre lumière.
Tout d'abord, il est certain qu'il mourut aux sens d'une manière morale pendant sa vie et d'une manière naturelle à la fin de sa vie. Comme il l'affirme, il n'a pas eu, dans le cours de
sa vie, où reposer sa tête (Mat. VIII, 20). A sa mort ce fut de même; il est certain qu'alors il fut aussi abandonné et comme anéanti dans son âme.
Son Père le laissa sans aucune consolation et sans nul secours; il l'abandonna à la sécheresse la plus profonde; voilà pourquoi il ne put s'empêcher de
s'écrier à la Croix: Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me? « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? (Mat.
XXVII, 46) » Ce fut l'abandon le plus grand et le plus sensible qu'il eût jamais éprouvé dans sa vie. Mais c'est alors aussi qu'il opérait
la plus grande oeuvre de sa vie, celle qui surpassait tous les miracles et les prodiges qu'il avait jamais accomplis sur la terre et au ciel, je veux dire la
réconciliation du genre humain et son union à Dieu par la grâce. Cette oeuvre s'accomplissait au temps et au moment où le Sauveur était le plus complètement anéanti. Il l'était,
en effet, dans sa réputation vis-à-vis des hommes, qui, le voyant expirer sur le bois de la Croix, non seulement ne lui donnaient pas la moindre marque d'estime,
mais l'accablaient de leurs moqueries; il l'était dans sa nature, puisque par elle il s'anéantissait dans la mort; il l'était vis-à-vis de son Père, qui, loin de lui
accorder un secours, une consolation, le délaissa et l'obligea à payer intégralement la dette de l'homme pour le réconcilier à Dieu. Il resta ainsi comme détruit et réduit à néant. Voilà
pourquoi David, parlant en son nom, a dit: Ad nihilum redactus sum et nescivi (Ps. LXXII, 22; « J'ai été réduit au néant, et je l'ignorais »).
L'homme spirituel doit comprendre par là le mystère de la porte
et du chemin, c'est-à-dire du Christ par qui il faut passer pour s'unir à Dieu; il doit savoir que plus il s'anéantira par amour pour Dieu, dans ses deux parties
sensitive et spirituelle, plus aussi il s'unira à Dieu et plus son oeuvre sera grande. Quand il arrivera à ce degré où il sera réduit à rien, et dans la
suprême humiliation, son âme alors achèvera son union spirituelle avec Dieu. C'est là l'état le plus glorieux et le plus élevé auquel on puisse parvenir en cette vie. L'union ne consiste
donc point dans les jouissances, dans les consolations, dans les sentiments spirituels, mais dans la mort réelle de la Croix au point de vue sensitif et spirituel, intérieur et
extérieur.
Je ne veux par parler plus longuement de ce sujet, malgré mon désir de le continuer, car je
vois que Jésus-Christ est très peu connu de ceux qui se croient ses amis. On les voit, en effet, rechercher en lui les douceurs et les consolations et s'aimer
beaucoup eux-même, au lieu de rechercher ses amertumes et ses anéantissements, ce qui serait la marque de l'amour qu'ils lui portent; je dis cela de
ceux qui se croient ses amis. Quant à ceux qui vivent loin de lui et sont séparés de lui, à ces grands, à ces savants, à ces potentats, et aux autres qui vivent au milieu du
monde, préoccupés de satisfaire leurs ambitions et leurs désirs de grandeurs, comment
pourrions-nous dire qu'ils connaissent le Christ? Leur fin, si bonne qu'elle soit, sera remplie d'amertume. Il n'est pas question d'eux
dans cet écrit; mais au jour du jugement il en sera parlé. Car c'est à eux tout d'abord qu'il convenait d'adresser cette parole de Dieu, puisque leur science et leur haute situation les
mettaient en évidence.
"La Montée du Carmel"
Saint Jean de la Croix
Livre II chapitre
VI