mariemadeleine.jpgEn 2008, notre Saint-Père nous avait offert un magnifique « message de Carême » centré sur le thème de l’aumône. Cette année, il nous offre un non moins admirable message qui insiste surtout sur la valeur et le sens du jeûne quadragésimal. Le présent article ne dispense pas de lire et de méditer le texte du pape. Bien au contraire… Il ne se propose comme objectif que de développer un point particulier esquissé à travers une citation de saint Augustin : « je m’afflige certes un supplice, mais pour que Dieu me pardonne ; je me châtie de moi-même pour qu’Il m’aide, pour plaire à ses yeux, pour arriver à la délectation de sa douceur » (1).

La discipline du jeûne : un « supplice » ?
La discipline actuelle de l’Eglise catholique en termes de jeûne n’est vraiment pas très exigeante. Les fidèles, de 18 à 60 ans, ne sont tenus de jeûner que deux fois par an : le Mercredi des Cendres et le Vendredi-Saint (2). Par « jeûne »(3), l’Eglise entend : faire un seul repas normal par jour (et éventuellement prendre une petite « collation » ou « repas allégé », par exemple le matin et le soir si l’on a déjeuné à midi). Cependant, l’Eglise entend aussi par « jeûne » toute sorte de mortifications : privations volontaires, petits sacrifices, et surtout l'acceptation patiente de la croix que nous devons porter chaque jour (maladies, contrariétés, difficultés, devoir d’état, etc…).

Satisfaction
Si l’on prend conscience de ce qu’est le péché, c’est-à-dire essentiellement une offense à Dieu, alors par amour et par souci de justice, nous allons chercher à réparer notre péché. D’abord et surtout en l’avouant humblement avec un cœur contrit au sein du « sacrement de pénitence et de réconciliation » afin d’en recevoir le pardon. Ensuite par une juste « satisfaction » ou compensation pour réparer les conséquences de nos péchés.

Par le Christ, avec Lui, en Lui.
Cependant cette satisfaction du pécheur ne peut avoir de valeur réelle qu’unie à celle de Jésus. C’est que le Concile de Trente a souligné avec force : « Le Fils unique bien-aimé de Dieu, notre Seigneur Jésus Christ, qui, alors que nous étions ennemis, à cause de l'extrême amour dont il nous a aimés, a mérité notre justification par sa très Sainte passion sur le bois de la croix et a satisfait pour nous à Dieu son Père ». Jésus a offert à son Père au nom de l’Humanité un amour plus grand que la malice de tous nos péchés. La satisfaction que Jésus a offerte a été non seulement suffisante mais même surabondante (4). Si le salut nous est bel et bien offert par le Seigneur, il nous faut l’accueillir en étant configurés au Christ. Le Seigneur nous accorde son pardon et il répare Lui-même l’essentiel des conséquences de nos péchés mais il nous fait, mystérieusement et par amour, l’honneur de coopérer à notre propre rédemption en « rajoutant notre petite goûte d’eau à son offrande ». Notre satisfaction n’est que par Jésus-Christ. C’est avec Lui et en Lui que nous « faisons de dignes fruits de pénitence » (Lc 3,8). « Ainsi donc, mes frères, nous sommes débiteurs, mais non point envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair, vous mourrez. Mais si par l'Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez. (…) Nous sommes enfants, et donc héritiers; héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui » (Rm 8).

Un purgatoire sur la terre
Si nous avons quelque chose à ajouter ce n’est pas parce qu’il manque quelque chose du côté de Jésus mais parce que, bien souvent, nous n’avons pas le cœur assez ouvert aux fruits de la Rédemption acquise par le Christ. Comme nous le dit le prêtre après l’absolution sacramentelle : « que tout ce que vous ferez de bien et supporterez de pénible contribue en vous à la rémission de vos péchés ». La « pénitence sacramentelle» ou « satisfaction » que le confesseur nous donne après l’absolution a pour but de réparer les conséquences de nos péchés. Mais, bien souvent, elle ne les compense pas toutes et c’est la raison pour laquelle le Carême nous invite à nous purifier plus parfaitement, par le jeûne notamment, mais aussi par l’aumône et une prière plus assidue. Ce que nous aurons fait sur la terre ne sera plus à faire éventuellement après notre mort. En un sens, le Carême c’est un peu le temps privilégié du purgatoire sur la terre. Les fruits du jeûne Si le baptême nous a donné de renaître à la vie divine ; il ne nous a pas totalement guéris du péché originel. Le jeûne a pour but de rétablir l’équilibre intérieur de l’homme blessé par le péché. Nos passions ont tendance à obscurcir notre raison
et à soumettre notre volonté. Le jeûne vient aider notre âme à redevenir pleinement libre. Il apparaît alors comme un remède très utile et efficace qui cicatrise les plaies laissées par nos péchés et permet à notre âme de reprendre le contrôle sur nos appétits désordonnés. Comme le disent très bien les préfaces du Carême : « Seigneur, vous accueillez nos pénitences comme une offrande à votre gloire, car nos privations, tout en abaissant notre orgueil, nous invi¬tent à imiter votre miséricorde et à partager avec ceux qui ont faim » (5). Ou encore « Vous voulez, par notre jeûne et nos privations, réprimer nos penchants mauvais, élever nos esprits, nous donner la force et enfin la récompense, par le Christ, notre Seigneur ».

Jeûner dans la joie
En matière de satisfaction, ce n'est pas tant la valeur de ce que l'on offre que la dévotion avec laquelle on l'offre, qui compte (6). Aussi convient-il surtout d’offrir nos petites privations avec un cœur rempli de charité. Notre Seigneur nous invite aussi à faire pénitence en secret et dans la joie : « Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite, pour que les hommes voient bien qu'ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense. Pour toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (7). Laissons enfin la parole à celui dont notre Saint-Père a voulu porter le nom glorieux : « chacun offrira spontanément à Dieu, dans la joie de l’Esprit saint, quelque pratique surérogatoire ; et il attendra la sainte Pâque avec l’allégresse du désir spirituel » (règle de St Benoit, chapitre 49). Saint et joyeux jeûne !


Notes
(1) Sermon 400, 3, 3 ; PL 40, 708.

(2) CIC canons 1250-1252. La loi de l’abstinence concerne, en outre, tous les fidèles de plus de 14 ans.

(3) Catéchisme de St Pie X.

(4) St Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIIa q 48 a 2.

(5) Préface 3 et 4 du Carême.

(6) St Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIIa q 79 a 5.

(7) Mt 6, 16-18 .